Charles ! Charles ! ô mon fils ! quoi donc ! tu m'as quitté.
Ah ! tout fuit !
rien ne dure !
Tu t'es évanoui dans la grande clarté
Qui pour nous est
obscure.
Charles, mon couchant voit périr ton orient.
Comme nous nous
aimâmes !
L'homme, hélas ! crée, et rêve, et lie en souriant
Son âme à
d'autre âmes ;
Il dit : C'est éternel ! et poursuit son chemin ;
Il se
met à descendre,
Vit, souffre, et tout à coup dans le creux de sa main
N'a
plus que de la cendre.
Hier j'étais proscrit. Vingt ans, des mers
captif,
J'errai, l'âme meurtrie ;
Le sort nous frappe, et seul il connaît
le motif.
Dieu m'ôta la patrie.
Aujourd'hui je n'ai plus de tout ce
que j'avais
Qu'un fils et qu'une fille ;
Me voilà presque seul dans cette
ombre où je vais ;
Dieu m'ôte la famille.
Oh ! demeurez, vous deux qui
me restez ! nos nids
Tombent, mais votre mère
Vous bénit dans la mort
sombre, et je vous bénis,
Moi, dans la vie amère.
Oui, pour modèle
ayant le martyr de Sion,
J'achèverai ma lutte,
Et je continuerai la rude
ascension
Qui ressemble à la chute.
Suivre la vérité me suffit ; sans
rien voir
Que le grand but sublime,
Je marche, en deuil, mais fier ;
derrière le devoir
Je vais droit à l'abîme.
Victor HUGO (1802-1885)
Recueil: L'année terrible