Fauve
avec des tons d'écarlate,
Une
aurore de fin d'été
Tempétueusement
éclate
A
l'horizon ensanglanté.
La
nuit rêveuse, bleue et bonne
Pâlit,
scintille et fond dans l'air,
Et
l'ouest dans l'ombre qui frissonne
Se
teinte au bord de rose clair.
La
plaine brille au loin et fume.
Un
oblique rayon venu
Du
soleil surgissant allume
Le
fleuve comme un sabre nu.
Le
bruit des choses réveillées
Se
marie aux brouillards légers
Que
les herbes et les feuilles
Ont
subitement dégagés.
L'aspect
vague du paysage
S'accentue
et change à foison.
La
silhouette d'un village
Paraît.
- Parfois une maison
Illumine
sa vitre et lance
Un
grand éclair qui va chercher
L'ombre
du bois plein de silence.
Çà
et là se dresse un clocher.
Cependant,
la lumière accrue
Frappe
dans les sillons les socs
Et
voici que claire, bourrue,
Despotique,
la voix des coqs
Proclamant
l'heure froide et grise
Du
pain mangé sans faim, des yeux
Frottés
que flagelle la bise
Et
du grincement des moyeux,
Fait
sortir des toits la fumée,
Aboyer
les chiens en fureur,
Et
par la pente accoutumée,
Descendre
le lourd laboureur,
Tandis
qu'un chœur de cloches dures
Dans
le grandissement du jour
Monte,
aubade franche d'injures,
A
l'adresse du Dieu d'amour !
Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil: Jadis et naguère