Tout est muet, l'oiseau ne jette plus ses cris.
La morne plaine est blanche au loin sous le ciel gris.
Seuls, les grands
corbeaux noirs, qui vont cherchant leurs proies,
Fouillent du bec la neige et tachent sa
pâleur.
Voilà qu'à l'horizon s'élève une clameur !
Elle approche, elle
vient : c'est la tribu des oies.
Ainsi qu'un trait lancé, toutes le cou tendu,
Allant toujours plus vite en leur vol éperdu,
Passent, fouettant le vent
de leurs ailes sifflantes.
Le guide qui conduit ces pèlerins des airs
Déjà les océans, les bois et les déserts,
Comme pour exciter leur allure
trop lente,
De moment en moment jette son cri perçant.
Comme
un double ruban la caravane ondoie,
Bruit étrangement et par le ciel déploie
Son grand triangle ailé qui va s'élargissant.
Mais leurs frères captifs répandus dans la plaine,
Engourdis par le froid, cheminent gravement.
Un enfant en haillons en
sifflant les promène,
Comme de lourds vaisseaux balancés
lentement,
Ils entendent le cri de la tribu qui passe,
Ils
érigent leur tête ; et regardant s'enfuir
Les libres voyageurs au travers de
l'espace
Les captifs tout à coup se lèvent pour partir ;
Ils agitent en vain leurs ailes impuissantes,
Et
dressés sur leurs pieds, sentent confusément,
A cet appel errant, se lever
grandissantes
La liberté première au fond du coeur dormant,
La fièvre de l'espace et des tièdes rivages.
Dans
les champs pleins de neige, ils courent effarés
Et jetant par le ciel des
cris désespérés,
Ils répondront longtemps à leurs frères
sauvages.
Guy De Maupassant (1850-1893)
recueil: Des vers