Première promenade
Un tourbillon d'écume, au centre
de la baie
Formé par de secrets et profonds entonnoirs,
Se berce
mollement sur ronde qu'il égaie,
Vasque immense d'albâtre au
milieu des flots noirs.
Seigneur ! que faites-vous de cette
urne de neige ?
Qu'y versez-vous dès l'aube et qu'en sort-il la nuit
?
La mer lui jette en vain sa vague qui l'assiège,
Le nuage sa
brume et l'ouragan son bruit.
L'orage avec son bruit, le flot avec
sa fange,
Passent ; le tourbillon, vénéré du pêcheur,
Reparaît, conservant, dans l'abîme où tout change,
Toujours
la même place et la même blancheur.
Le pêcheur dit : - C'est là,
qu'en une onde bénie,
Les petits enfants morts, chaque nuit de Noël,
Viennent
blanchir leur aile au souffle humain ternie,
Avant de s'envoler pour être
anges au ciel. -
Moi je dis : - Dieu mit là cette
coupe si pure,
Blanche en dépit des flots et des rochers penchants,
Pour être, dans le sein de la grande nature,
La figure du juste
au milieu des méchants.
Victor HUGO (1802-1885)
Recueil: les quatre vents de l'esprit